Aptitude au travail : rôle respectif du médecin du travail et du médecin traitant

Introduction:
Aussi complexes qu’elles soient, les notions d’aptitude et d’inaptitude médicales au poste de travail sont toujours déterminées en fonction non seulement des capacités physiques et psychiques du salarié mais également de la spécificité du poste de travail.
Aussi afin de bien différencier les rôles respectifs du médecin du travail et du médecin traitant, il convient tout d’abord de définir précisément la ou les notions d’aptitude(s). Ensuite, les circonstances légales et les modalités de détermination de l’avis d’aptitude seront détaillées, ce en spécifiant les rôles respectifs du médecin du travail et du médecin traitant. Enfin, les conséquences d’un avis d’inaptitude au poste seront envisagées ainsi que les éventuelles possibilités de recours.

I. Notions générales d’aptitude

I.1. Les cadres réglementaires et la notion d’aptitude:
Dans le cadre du Code de Sécurité Sociale, la notion d’aptitude au travail ne tient pas compte des contraintes du poste de travail car le médecin conseil ne le connaît pas. Son rôle est de définir la possibilité ou non pour le malade de reprendre le travail c’est à dire un travail.
En revanche, dans le cadre du code du travail, l’aptitude est fixée, par le médecin du travail, en fonction du poste de travail fixé par le chef d’entreprise. De plus, la loi n°90-602 du 12-07-90 sur le principe de non discrimination des candidats à l’emploi et des salariés en raison de leur état de santé ou de leur handicap fait du médecin du travail l’intermédiaire obligé pour les questions de santé dans l’entreprise.

I.2. La notion d’aptitude au poste de travail:
– La décision d’aptitude a pour objectif d’éviter de détériorer la santé du fait du travail ou d’entraîner un danger pour autrui.
Elle n’a en aucun cas le but de sélectionner le « meilleur » salarié pour un poste donné ni d’évaluer les aptitudes professionnelles.


II. Les circonstances réglementaires nécessitant un avis d’aptitude:


L’article R 241.57 du code du travail stipule qu’à l’issue de chacun des examens médicaux prévus aux articles R. 241.48R.241.49R.241.50R.241.51, le médecin du travail est tenu de rendre un avis d’aptitude dans les circonstances suivantes :

– Lors de la visite d’embauche : (art. R. 241.48 du code du travail). Cette visite doit avoir lieu avant l’embauche, ce de façon obligatoire pour les salariés relevant de la surveillance médicale spéciale, ou au plus tard avant la fin de la période d’essai, pour les autres salariés.

– Lors des visites périodiques : (art. R.241.49 du code du travail).
Tout salarié doit obligatoirement bénéficier d’un examen médical une fois par an. Ces visites permettent au médecin du travail de s’assurer du maintien de l’aptitude au poste de travail.

– A l’occasion des surveillances médicales spéciales : (art. R.241.50 du code du travail). Une surveillance médicale particulière doit en effet être exercée pour :

les salariés affectés à certains travaux comportant des exigences ou des risques spéciaux dont la liste est établie par arrêtés du ministre chargé du Travail (arr. 11/07/77),
. les salariés qui viennent de changer de type d’activité ou de migrer, et cela pendant une période de 18 mois à compter de leur nouvelle affectation,
. les handicapés,
. les femmes enceintes et les mères d’enfants de moins de deux ans,
. les travailleurs de moins de 18 ans.
. A la suite d’un certain nombre d’absences déterminées par l’art R.241.51 du code du travail :

– Les salariés doivent bénéficier d’une visite de reprise après:

. un arrêt de travail de plus de 8 jours secondaire à un accident du travail,
. un arrêt de travail pour maladie professionnelle,
. un congé de maternité,
. un arrêt de travail de plus de 21 jours consécutif à une pathologie (maladie ou accident) non professionnelle,
. des arrêts répétés pour raison de santé.

Cet examen a pour but d’apprécier l’aptitude du salarié à reprendre son ancien emploi, de déterminer la nécessité d’éventuelles adaptations des conditions de travail et/ou d’une réadaptation du salarié.

III. Les modalité détermination de l’avis d’aptitude ou d’inaptitude :

III.1. Le rôle du médecin du travail :
Légalement, le médecin du travail est seul habilité à décider si le salarié est médicalement apte au poste de travail défini par l’employeur.
Ni l’avis du médecin traitant (généraliste ou spécialiste), ni la décision du médecin conseil de la sécurité sociale ne peuvent lui être imposés.

La détermination de l’aptitude se fait après examen clinique et si besoin après examens complémentaires et avis spécialisés.

L’article R.241.52 du code du travail précise que le médecin du travail peut prescrire les examens complémentaires nécessaires :

à la détermination de l’aptitude médicale au poste de travail et notamment au dépistage des affections comportant une contre-indication à ce poste de travail,
au dépistage des maladies professionnelles et des maladies à caractère professionnel au sens de l’article L 461-6 du code de la sécurité sociale,
au dépistage des maladies dangereuses pour l’entourage.

Le médecin du travail est juge de la nature et de la fréquence de ces examens complémentaires, hormis le cas ou ils sont fixés par arrêtés. Il choisit également l’organisme chargé de pratiquer ces examens.
Ces examens sont, selon les cas, soit à la charge de l’employeur soit à la charge du service interentreprises.
En cas de désaccord entre le médecin et l’employeur sur la nature et la fréquence de ces examens, le différent sera soumis au médecin inspecteur du travail et de main d’oeuvre qui décide en dernier ressort.

Les résultats des examens complémentaires et des avis spécialisés sont portés au dossier médical.

– Le dossier médical :
Ce dossier est constitué au moment de la visite d’embauche et complété lors de chaque examens ultérieurs. Il comprend les bilans des différentes consultations de médecine du travail et les résultats des différents examens complémentaires demandés par le médecin du travail ou portés à sa connaissance par le salarié.

– La définition du poste de travail :
L’aptitude à un poste ne peut être déterminée qu’après analyse des caractéristiques du poste de travail.
Cette connaissance nécessaire du poste de travail repose sur l’activité du médecin du travail en milieu de travail où il est amené à mettre en oeuvre des méthodes d’évaluation de risque (identification des nuisances, métrologie…).

Le médecin du travail doit également se tenir au courant de l’évolution de la réglementation concernant l’accès à certains emplois (examens paracliniques obligatoires par exemple).

– L’avis d’aptitude:
Sa structure est définie par l’article R.241.57 du code du travail qui précise que le médecin du travail doit :
établir une fiche d’aptitude, en double exemplaire.
remettre un exemplaire au salarié.
transmettre l’autre à l’employeur qui le conserve afin de pouvoir le présenter, à tout moment, sur leur demande, à l’inspecteur du travail et au médecin inspecteur régional du travail et de la main d’oeuvre.
Cette fiche d’aptitude ne doit comporter que des indications d’aptitude ou d’inaptitude à l’exclusion de tout renseignement médical. En revanche, elle peut indiquer des propositions d’aménagement de poste.

Lorsque, à l’occasion d’une visite ou avec le résultat d’un examen complémentaire le médecin du travail dépiste une affection médicale, il doit orienter le salarié vers son médecin traitant ou, s’il le juge nécessaire vers un centre hospitalier, en tenant toujours compte de la volonté de l’intéressé.

Le médecin du travail ne peut pas prescrire d’arrêt de travail au salarié et il doit, pour cela, l’adresser à son médecin traitant. Aussi, en cas d’inaptitude temporaire, il peut demander au médecin traitant de prescrire un arrêt de travail afin que le salarié bénéficie des indemnités journalières.

III.2. Le rôle du médecin traitant :
Son rôle est totalement différent de celui du médecin du travail.

Le médecin traitant :
– n’a en aucun cas le pouvoir de déterminer un avis d’aptitude ou d’inaptitude définitive au travail (il a cependant l’initiative de l’arrêt de travail en cas d’affection aiguë)
– ne doit pas faire des propositions d’aménagements de postes.

En effet, sa connaissance des caractéristiques du poste de travail est imparfaite et souvent construite à partir des seuls dires du patient.

En revanche, comme il a une bonne connaissance du patient, de ses antécédents, et de l’ensemble de son dossier médical et que leur relations se font souvent en toute confiance, il est le mieux placé pour faire un pronostic sur l’évolution de la maladie.

Il ne doit cependant pas communiquer ces renseignements directement au médecin du travail, étant tenu au secret médical.

Aussi, lorsque, en effectuant le suivi médical régulier de son patient (prévention, examen complémentaires en fonction des nécessités, thérapie), il décèle ou constate l’évolution d’une affection pouvant retentir sur l’aptitude médicale du travail, il doit convaincre son patient d’en informer lui-même le médecin du travail qui seul peut se prononcer sur l’aptitude (aménagement ou changement de poste).
Cette communication respecte ainsi le secret médical.

Le médecin traitant peut également conseiller à son patient de ne pas attendre la fin de l’arrêt de travail pour aller consulter le médecin du travail mais au contraire de demander une visite dite de pré-reprise.
Cette visite de pré-reprise donnera au médecin du travail la possibilité d’anticiper les propositions d’éventuels aménagements de poste, mais ne lui permet pas de formuler un avis d’aptitude (cour de cassation, chambre sociale, 2 arrêts du 12-11-97, 1 arrêt du 18-07-96).

Le médecin traitant doit aider son patient à obtenir les avantages sociaux auxquels son état de santé lui donne droit : en cas d’installation d’un handicap il devra informer son patient sur les possibilités de la COTOREP et sur la législation des entreprises concernant l’emploi des personnes handicapées et aider son patient dans les différentes démarches (demande d’invalidité, dossier COTOREP…)

IV. Les conséquences d’une décision d’inaptitude :

IV.1. Inaptitude totale et définitive :
Alors que la maladie n’est en principe qu’une cause de suspension temporaire du contrat de travail, l’inaptitude définitive peut conduire à la rupture du contrat.

Lorsque le médecin du travail détermine une inaptitude totale et définitive, il doit se conformer aux dispositions de l’article R.241.51.1 du code du travail qui stipule que, hormis le cas où le maintien du salarié à son poste de travail entraîne un danger immédiat pour sa santé ou sa sécurité, ou celles des tiers, le médecin du travail ne peut constater l’inaptitude du salarié à son poste de travail qu’après une étude de ce poste et des conditions de travail dans l’entreprise et deux examens médicaux de l’intéressé espacés de deux semaines, accompagnés, le cas échéant, des examens complémentaires mentionnés à l’article R.241.52 (examens complémentaires nécessaires à la détermination de l’aptitude médicale au poste de travail).

L’inaptitude peut être due à deux situations dont les conséquences sont différentes :


IV.1.1. Inaptitude secondaire à un accident du travail ou une maladie professionnelle :
Cette inaptitude entre dans le cadre de l’article L.122.32.5 du code du travail avec obligation de reclassement à la charge de l’employeur.

En tenant compte des conclusions du médecin du travail et des indications qu’il a noté sur l’aptitude du salarié à exercer une des activités présente dans l’entreprise, et après avis de délégués du personnel, l’employeur doit proposer au salarié un emploi approprié à ses capacités et aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé. Pour cela, il peut décider des transformations ou des aménagements de postes de travail.

Si l’employeur ne peut proposer un autre emploi, il doit indiquer par écrit les raisons du non reclassement.

Le salarié ne peut être licencié que si l’employeur a justifié son impossibilité de le reclasser dans l’entreprise ou si le salarié a refusé l’emploi de reclassement proposé.

Lorsqu’il y a licenciement, l’employeur doit suivre les procédures prévues par la loi en cas de résiliation du contrat de travail à l’initiative de l’employeur (article L.122.4 à L.122.17 et L.122.32.6 du code du travail)
Dans ce cas (secondaire à un accident du travail ou à une maladie professionnelle), la rupture du contrat de travail permet au salarié d’obtenir l’indemnité compensatrice de préavis et à l’indemnité spéciale de licenciement mentionnée à l’article L.122.32.6, sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

Si le salarié est reconnu travailleur handicapé (loi du 10-07-87), l’Etat peut attribuer une aide financière pour les transformations de poste sous les conditions du dernier alinéa de l’article L.323.9.IV.1.2. Inaptitude non consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle :
Cette inaptitude rentre dans le cadre de l’article L.122.24.4 du code du travail.

Le médecin du travail, en se basant sur l’article L.241.10.1 du code du travail, peut faire des propositions d’aménagement de poste ou de reclassement mais l’employeur n’est pas tenu de justifier par écrit les raisons s’opposant aux solutions de reclassement proposé par le médecin du travail.

A la suite de la pathologie ayant déterminée son inaptitude, le salarié peut être reconnu comme travailleur handicapé ou être titulaire d’une pension d’invalidité. Ces mesures n’évitent pas le licenciement. En revanche l’employeur peut rembaucher le salarié, sous la Loi du 10-07-87, mais le salarié ainsi réintégré ne saurait bénéficier de l’ancienneté antérieurement acquise sauf dispositions conventionnelles plus favorables.

IV.2. Inaptitude temporaire :
Il y a inaptitude temporaire lorsque le médecin du travail estime à l’issue d’une visite médicale que le salarié n’est pas en état momentanément de tenir son poste.

Le médecin du travail fixe alors un délai au terme duquel il reverra le salarié afin de réévaluer cette inaptitude.

Cet avis d’inaptitude temporaire peut être nuancé avec des propositions d’aménagement de poste soumises à l’employeur (article L. 241.10.1 du code du travail).

Si le médecin du travail ne fait pas de proposition d’aménagement de poste ou si celles-ci sont refusées par l’employeur, le contrat de travail sera suspendu sans rémunération sauf si le salarié a obtenu, par son médecin traitant, un arrêt de travail le menant jusqu’à la date du nouvel examen médical fixée par le médecin du travail.

IV.3. Aptitude avec restrictions :
Le médecin du travail peut également, à l’issue d’une visite médicale, déterminer que le sujet est apte à son poste sous réserve de ne pas effectuer certaines activités mentionnées sur le certificat d’aptitude. Il est nécessaire d’être attentif, car cette aptitude avec restriction, si il n’existe pas d’aménagement de poste réalisable, peut entraîner les mêmes conséquences que l’inaptitude.

Recours contre la décision d’inaptitude :
Lorsqu’il existe un désaccord sur les conclusions d’aptitude données par le médecin du travail, le salarié ou l’employeur peuvent saisir l’inspecteur du travail.
Celui-ci décide après avis du médecin inspecteur du travail (article L 241-10-1-3ème alinéa).


Conclusion :
Vis-à-vis du salarié, les rôles respectifs du médecin du travail et du médecin traitant sont très spécifiquement différenciés.
Seul le médecin du travail est habilité à se prononcer sur l’aptitude médicale d’un salarié à son poste.
Le médecin traitant ne peut communiquer des informations au médecin du travail que dans le strict respect du secret médical c’est-à-dire avec l’accord de son patient et par son intermédiaire.

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