Oedème aigu du poumon d’origine professionnelle

L’O.A.P. résulte de l’accumulation de liquide d’origine plasmatique dans l’interstitium pulmonaire et à un stade plus avancé dans les alvéoles pulmonaires. Il peut être lié à une augmentation de la pression capillaire pulmonaire dans le cas de l’O.A.P. cardiogénique (ou hémodynamique), ou à une lésion de la membrane alvéolo-capillaire avec augmentation de la perméabilité dans l’O.A.P. lésionnel.
En pathologie professionnelle, l’O.A.P. est lésionnel dans l’immense majorité des cas. Il s’agit essentiellement de toxiques inhalés, rarement ingérés.
La gravité de l’atteinte est fonction de:

la nature du toxique,
sa solubilité : les gaz peu hydrosolubles pénètrent plus profondément dans le poumon,
sa concentration,
la durée d’exposition,
l’état pulmonaire antérieur. L’apparition de l’O.A.P. est souvent retardée et son traitement est une urgence.

II. ÉTIOLOGIES

Les produits en cause peuvent être des vapeurs suffocantes, des caustiques, des irritants, des métaux ou des produits pétroliers.

Métaux et métalloïdesAutres agents
Acide chromiqueAcétaldéhyde
BérylliumAcide chlorhydrique
CadmiumAcide fluorhydrique
Chlorure de zincAcroléine
CobaltAmmoniac
CuivreAnhydride sulfureux
Hydrure de lithiumAnhydride trimellitique
ManganèseBromure d’hydrogène
MercureBromure de méthyle
Nickel carbonylChlore
OsmiumDiméthyl sulfate
Pentoxyde de vanadiumDioxane
SéléniumHydrocarbure
Tétrachlorure de titaneHydrogène sulfuré
Tétrachlorure de zirconiumIsocyanates
– toluène de diisocyanate
– isocyanate de méthyle
Trichlorure et pentachlorure d’antimoineOrganophosphorés
Oxydes d’azote
Oxyde de carbone
Ozone
Paraquat
Phosgène

2.1. OXYDE D’AZOTE

Les sources d’exposition professionnelles sont : le soudage en lieu confiné sans protection, le décapage de métaux, les silos contenant des céréales (maladie des silos), la fabrication de l’acide nitrique, l’industrie chimique. Le risque est lié au dégagement de vapeurs nitreuses qui étaient combinées à l’O2 : oxyde nitrique (NO), peroxyde d’azote (NO2), protoxyde d’azote (N2O), anhydride azoteux (N2O3), anhydride azotique (N2O5).
L’O.A.P. est retardé, méthémoglobinémie puis amélioration puis séquelles : bronchiolite chronique oblitérante souvent surinfectée.

2.2. PHOSGÈNE

Le COCL2 est incolore, peu soluble avec une odeur d’œuf pourri.
Utilisé dans le passé comme gaz de combat, l’exposition au phosgène est devenue essentiellement accidentelle, par exemple lors du soudage de métaux venant d’être décapés à l’aide de substances chlorées (trichloréthylène ou perchloréthylène pour dégraisser les métaux avant soudage), ou dans l’industrie de fabrication de résines.

2.3. OZONE

Il y a risque d’exposition lors du soudage à l’arc, de la désinfection ou de la stérilisation de l’eau (piscine) ou des aliments et lors de toute activité entraînant l’émission d’UV.

2.4. ANHYDRIDE SULFUREUX

Le SO2 est incolore, hydrosoluble, et à l’origine de brûlure (éléments soufrés du charbon et des hydrocarbures) et rencontrer dans les polluants atmosphériques. Réagit avec l’eau en formant de l’acide sulfurique (pluies acides). Est irritant ORL des voies aériennes supérieures et peut donner un O.A.P. en cas d’intoxication massive. Il donne des séquelles : asthme, bronchectasie, bronchiolite.
Il est utilisé comme agent de blanchiment du sucre et du papier. On le retrouve également dans les fonderies et l’industrie pétrolière.

2.5. CHLORE

C’est un caustique intervenant dans la fabrication de l’eau de Javel. Le mélange accidentel de celle-ci avec un détergent provoque le dégagement de vapeurs chlorées très toxiques.
On retrouve également le chlore dans les industries de base lors de la fabrication de désinfectants et de solvants chlorés.

2.6. AUTRES HALOGÈNÉS

Tels le brome et l’iode retrouvés dans l’industrie chimique, photographique, pharmaceutique et le fluor dans la fabrication de dérivés fluorés.

2.7. AMMONIAC

Le NH3 est incolore, très hydrosoluble avec une forte odeur. Il est à l’origine d’une irritation ORL et d’un O.A.P. sans parallélisme avec la radio pulmonaire. Il est à l’origine de séquelles fréquentes : bronchectasie, bronchiolite chronique oblitérante, hyper-réactivité bronchique.
On le retrouve dans l’industrie chimique lors de la fabrication de produits d’entretien, de pesticides, d’engrais. Il est de moins en moins utilisé comme réfrigérant.

2.8. ACIDE SULFURIQUE

Le H2SO4 est un caustique très toxique. Il y a risque d’intoxication lors du décapage de métaux, de la fabrication d’engrais ou dans l’industrie chimique.

2.9. VAPEURS D’ISOCYANATES

Les R-NCO rentres dans la composition des mousses polyuréthannes…Ce sont des irritants avec sensibilisation (= 0,5 ppm) et peuvent être à l’origine d’un O.A.P. en cas de forte concentration (Bhopal en Inde en 1984). Ils donnent des séquelles : fibroses interstitielles diffuses, bronchiolite chronique oblitérante, mais surtout une hyper réactivité bronchique voire un SDRA (Toluène diisocyanate TDI +++)

2.10. VAPEURS MÉTALLIQUES

2.10.1. CADMIUM

L’intoxication aiguë par le cadmium est grave, mortelle dans 20% des cas. La phase d’irritation cutanéo-muqueuse est très sévère, la période de latence de 12 à 36 heures ; I’O.A.P. de type pneumonie chimique avec parfois atteinte hépato-rénale.
Le cadmium est retrouvé dans beaucoup d’alliages (nickel, zinc). Il est utilisé pour le cadmiage des métaux (protection), comme pigment dans les peintures, les laques. Il existe également un risque d’exposition lors de la fabrication des accumulateurs au cadmium/nickel et du soudage.

2.10.2. MANGANÈSE, MERCURE, BÉRYLLIUM, CUIVRE

Le principal diagnostic différentiel de l’O.A.P. dues aux vapeurs métalliques est le diagnostic de fièvre des fondeurs fréquent chez les soudeurs ou les installateurs sanitaires travaillant en milieu confiné sans protection.

2.11. HUILES ET DÉRIVÉS DU PÉTROLE

L’intoxication est rare actuellement, elle se fait soit par inhalation lors de pulvérisation (BTP), soit par ingestion lors de siphonage ou de fausse route. Dans ce cas, il existe des signes digestifs associés. L’apparition de l’O.A.P. est rapide (premier jour), et l’évolution possible vers la fibrose.

2.12. IRRITANTS SECONDAIRES

Ils ont une action systémique associée à leur toxicité pulmonaire. Il s’agit de l’hydrogène sulfuré, de l’hydrogène phosphoré et du monoxyde de carbone.

2.13. PARAQUAT

Le 1,1′-diméthyl-4,4′-dipyridilium est un herbicide qui détruit la chlorophylle par oxydation (utilisation dans les DOM-TOM). La plupart du temps l’intoxication est secondaire à un suicide +++ ou un accident et dose dépendante. Elle se traduit par des douleurs abdominales, des vomissements, une diarrhée puis le décès (O.A.P., insuffisance cardio-vasculaire) ou syndrome hépatorénal (nécrose tubulaire). Il est surtout à l’origine de séquelles fibrosantes pulmonaire irréversible : fibrose interstitielle diffuse (production de radicaux libres RL°+++).

2.14. FUMÉES D’INCENDIE

Le mélange gazeux est composé : d’acroléine (irritant : combustion de la laine et coton), d’ammoniac, de chlore et d’HCl (pyrolyse du PVC !!!), de dioxyde d’azote, d’anhydride sulfureux, d’isocyanates (plastiques), et de CO +++. l’O.A.P. qui peut être secondaire est d’évolution variable.

III. DIAGNOSTIC

L’O.A P. d’origine toxique peut se présenter sous deux formes : L’oedème alvéolaire ou interstitiel.

3.1. L’ŒDÈME ALVÉOLAIRE

C’est la manifestation la plus grave. Les produits en cause sont essentiellement le chlore, le phosgène, L’acide sulfurique, les oxydes d’azote, l’ammoniac et le brome.
La clinique se déroule en trois phases :

3.1.1. PHASE 1

Apparition de signes d’irritation cutanéo-muqueux : rhinite, éternuements, conjonctivite, larmoiement, sensation de brûlure des yeux et du visage et de signes d’irritation trachéo-bronchique : toux incessante, non productive, douleurs thoraciques rétrosternales, dyspnée asthmatiforme. Cette phase est plus ou moins longue, contemporaine de l’intoxication.

3.1.2. PHASE 2

Rémission. Il ne persiste que quelques signes cliniques minimes.

3.1.3. PHASE 3

Apparition brutale de l’O.A.P., de façon retardée en 24 à 48 heures (parfois plus précoce).
Il est suspecté devant une toux parfois productive, une dyspnée asthmatiforme ou une tachypnée et des douleurs thoraciques qui sont constantes. Mais aussi : une cyanose, des râles et des crépitants à l’auscultation et une hyperthermie (souvent trompeuse et à l’origine d’erreur de diagnostic).
A la radio du thorax, on note des opacités interstitielles réticulaires puis floconneuses, floues, mal délimitées, irrégulières, bilatérales à prédominance périhilaire et sans épanchement pleuraux.
Les gaz du sang montrent une hypoxémie avec hypocapnie pouvant évoluer vers une hypercapnie de mauvais pronostic.
Il faut discuter une fibroscopie bronchique, des EFR (dans la première semaine) avec une courbe débit/volume (petites voies aériennes +++), DLAC si VEMS supérieur à 1l (pas d’antécédents de bronchospasme) et DLCO.
Les critères de gravités sont : une durée d’exposition de plus de 30 mn, une exposition professionnelle, l’intensité de l’exposition (concentration du toxique), la solubilité du toxique (hydrosoluble : ORL+++ immédiat, liposoluble : O.A.P. retardé), la nature du toxique (gaz, vapeur, acide, alcalin), le type d’exposition unique ou répétée, la persistance des symptômes (>24h), une examen clinique anormal (sibilant…), une apparition retardée des symptômes (>H1), des facteurs individuels (génétiques, respiratoires…).

3.1.4. ÉVOLUTIONS

La régression sans séquelles sous traitement (quelques jours à semaines) +++.
Décès plus ou moins rapide : rare (infections…).
Guérison avec séquelles :
o Bronchiolite oblitérante (anhydride sulfureux, vapeurs nitreuses, ozone, vapeurs acide , ammoniac, phosgène et isocyanate de méthyl…),
o TVO des voies aériennes,
o Bronchectasies (tissu de granulation),
o Fibrose,
o S.D.R.A. (syndrome de détresse respiratoire aigu ou syndrome de dysfonction réactive des voies aériennes) =

* Clinique : elle est inquiétante, l’auscultation peut être normale ou révéler des crépitants,
* Radio du thorax : c’est le poumon blanc, sans cardiomégalie,
* Gazométrie artérielle : l’hypoxémie est sévère, constante, elle se corrige mal (PaO2 inférieure à 50 mmHg sous FiO2 de 60 %), l’hypocapnie est quasi constante et l’hypercapnie est tardive et de très mauvais pronostic,
* L’évolution plus tardive peut se faire vers la fibrose,
* critères de Brooks (1985) (gravités +++) =

– absence d’ATCD respiratoires,
– survenue de symptômes après une seule exposition,
– exposition à des gaz, fumées, vapeurs, présents à des très fortes concentrations et irritant,
– survenue de symptômes dans les 24h suivant l’exposition, persistant au moins 3 mois,
– symptôme de type asthmatiforme avec principalement toux, sibilants et dyspnée,
– EFR pouvant montrer un TVO,
– test de provocation à la métacholine positif,
-élimination d’autres causes respiratoires.

La surveillance ultérieure comportera des gaz du sang, une ou des radio pulmonaire, une fibroscopie et des EFR (DLAC, TLCO) à 3 mois.

3.2. L’ŒDÈME INTERSTITIEL PRÉDOMINANT

Les principaux produits en cause sont l’oxyde d’azote, les vapeurs métalliques, les dérivés fluorés, les huiles et les essences.
L’oedème interstitiel peut être isolé ou associé à un oedème alvéolaire. Il peut aussi être d’apparition retardée.

Cliniquement, il prend l’aspect de « pneumonie chimique » ou pneumopathie aiguë suffocante :
o à la phase de début, on a un syndrome grippal avec céphalées, courbatures, puis apparaît une toux sèche, douloureuse, s’accentuant aux changements de positions, accompagnée d’hyperthermie,
o l’auscultation montre une diminution du murmure vésiculaire sans crépitants.

Les signes radiologiques seront retardés par rapport à la clinique. Ils montrent une diminution de la trame et des signes réticulo-micro-nodulaires disséminés.
Ce type d’œdème peut aussi évoluer vers la fibrose.

IV. PRINCIPES DU TRAITEMENT

4.1. SUR LE LIEU DU TRAVAIL

– Suppression de la source du toxique,
– Retrait du sujet avec mesures de protection des sauveteurs (libération des VAS, réa symptomatique),
– En cas de lésions cutanées associées, déshabillage et lavage immédiats des zones atteintes,
– Evacuation (O2 isobare) et hospitalisation systématiques car risque d’O.A.P. retardé.

4.2. EN MILIEU HOSPITALIER

– Si hypoxie modérée et pas de troubles de la conscience : oxygénation nasale à forte dose,
– En cas de S.D.R.A. : ventilation assistée en pression expiratoire positive (PEEP et CPAP), ce qui permet de réduire l’hypoxémie et d’utiliser de plus faibles FiO2. La P.E.E.P. semble réduire le risque d’évolution vers la fibrose pulmonaire. Aspirations répétées ± LBA. ß2-adrénergiques (aérosol ± parentéral), corticoïdes si œdème laryngé.
– En cas de fibrose, le malade devient inventilable et c’est l’impasse thérapeutique.
– Mesures générales:
o L’emploi de diurétiques peur être nécessaire, mais doit rester prudent.
o Selon le toxique en cause, des mesures spécifiques pourront être prises.
o Les surinfections sont fréquentes. L’antibiothérapie sera mise en route après les prélèvements +++
o Prévention des complications de décubitus.

V. RÉPARATION

Dérivés halogénés des hydrocarbures aliphatiques (dichlorométhane (chlorure de méthylène), trichlorométhane (chloroforme), trichloro-1-1-1-éthane (méthylchloroforme), trichloréthylène, tétrachloréthylène (perchloréthylène) dichloro-1-2-propane…) : TRG 12, TRA 21, DPC = 7j (O.A.P.).
Dérivés du phénol et pentachlorophénol (dinitrophénols, dinitro-orthocrésol, dérivés halogénés de l’hydroxybenzonitrile (bromoxynil)…) : TRG 14, TRA 13, DPC = 3j (O.A.P.).
Acide fluorhydrique, fluor et sels minéraux : TRG 32, DPC = 5j (irritations VAS, Broncho-pneumopathies aiguë, O.A.P.).
Organophosphorés (phosphates, pyrophosphates, phosphoramides…) : TRG 34, TRA 11, DPC = 3j (dyspnée asthmatiforme, œdème bronchoalvéolaire).
Sélénium : TRG 75, DPC = 5j (affections de voies aériennes, œdème pulmonaire).

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