Les polynévrites d’origine professionnelle

Les polynévrites sont caractérisées par une atteinte bilatérale et symétrique des troncs nerveux périphériques des membres avec comme symptomatologie des troubles sensitivo-moteurs à prédominance distale, auxquels peuvent être associés des troubles trophiques et végétatifs.

A l’origine de ces polynévrites, on distingue classiquement les causes métaboliques, carentielles et héréditaires des causes exogènes toxiques et c’est dans ces dernières que l’on trouvera les polynévrites professionnelles.

En effet, le monde du travail expose le salarié à une multitude d’agents pouvant être potentiellement neurotoxiques. Le but de ce chapitre n’est pas de faire une revue exhaustive de l’ensemble des neurotoxiques recensés aujourd’hui mais de proposer une démarche pratique devant tous salarié potentiellement susceptible de présenter une polynévrite d’origine professionnelle.

Aussi après un rappel clinique et physiopathologique du syndrome polynévritique, le diagnostique étiologique sera abordé en détaillant spécifiquement les agents neurotoxiques les plus pathogènes, enfin le problème de la prévention des polynévrites d’origine professionnelle clôturera ce chapitre.

I. Symptomatologie en faveur d’une polynévrite:

I.1. Signes d’appel:

Lors de l’interrogatoire et de l’examen clinique d’un sujet potentiellement soumis à un neurotoxique, il faudra penser à l’installation d’une polynévrite en recherchant:

– des troubles de la marche avec fatigabilité, difficulté pour monter les escalier voir même paraparésie.

– des troubles moteurs (faiblesse musculaire) symétriques souvent distaux et dont la topographie varie selon l’étiologie.

– des troubles sensitifs subjectifs, symétriques, distaux (en gants et chaussettes) avec paresthésie, douleur, crampe…

– des troubles trophiques en regard de l’atteinte neurologique

– abolition des réflexes ostéotendineux (ROT), car les polyneuropathies distales les plus fréquentes touchent préférentiellement les axones les plus longs et donc les ROT sont un bon moyen de détection clinique.

I.2.La place des examens complémentaires:

Les examens électrophysiologiques gardent une place incontournable dans la démarche diagnostique.

Leur principe repose sur l’enregistrement de la réponse électrique d’un nerf ou d’un muscle stimulé à des points anatomiques précis. L’électromyogramme (EMG), les vitesses de conduction nerveuse et l’amplitude des réponses sont enregistrées afin de détecter et de préciser l’existence d’une atteinte périphérique, son niveau et son importance.

– L’EMG met en évidence l’importance de la dénervation en montrant un appauvrissement et une accélération des tracés à l’effort (traduit la raréfaction des unités motrices utilisables).

– La mesure des vitesses de conduction permet de faire la distinction entre:

– Neuropathie axonale: l’anomalie touchant primitivement l’axone, les vitesse de conduction et les latences distales sont normales ou subnormales mais on retrouve une diminution d’amplitude du potentiel évoqué du nerf stimulé, traduisant la diminution du nombre d’axones fonctionnels.

– Neuropathie démyélinisante: l’anomalie touchant primitivement la gaine de myéline, il y a donc une diminution notable des vitesses de conduction et une augmentation des latences distales, sans nette diminution d’amplitude si il n’y a pas d’atteinte axonale associée.

Lors d’une polynévrite, les atteintes retrouvées seront, par définition diffuses et symétriques et dans le cas d’une polynévrite toxique, les atteintes primaires sont souvent axonales.

Avant l’apparition de tout signes cliniques évidents, les résultats de ces examens électrophysiologiques sont souvent déjà perturbés mais comme leur réalisation nécessite une prise en charge en milieu spécialisée, ils sont aujourd’hui rarement demandés comme examens de dépistage.

La biopsie neuro-musculaire, examen invasif, ne doit être demandée, qu’en dernier recourt dans l’exploration étiologique d’une polyneuropathie, et uniquement par le neurologue. Elle pourra montrer des signes d’atrophie musculaire neurogène, de démyélinisation segmentaire, de dégénérescence axonale.

L’examen du liquide céphalo-rachidien est, en cas de polynévrite, généralement normal.

II. Diagnostique étiologique:

Devant toute neuropathie périphérique inexpliquée, il faudra rechercher une origine toxique, notamment professionnelle, en vérifiant les produits manipulés et leur mode d’utilisation.

II.1. Influence des modalités d’exposition:

Une neuropathie périphérique peut survenir tardivement après une exposition aiguë à une concentration élevée d’un neurotoxique. C’est le cas des polynévrites aux organophosphorés ou à l’acrylamide. L’évolution de la neuropathie dépend alors de l’intensité de l’atteinte nerveuse.

Mais la plupart des cas de polynévrite toxiques d’origine professionnelle, sont secondaires à une exposition chronique à de faibles doses de neurotoxiques, comme les métaux lourd ou les solvants organiques. Le résultat est l’apparition insidieuse d’une neuropathie progressive avec une lente récupération après arrêt de l’exposition .

De manière générale, la plupart des neuropathies périphériques d’origine toxiques sont réversibles à l’arrêt de l’exposition.

II.2. Caractéristiques des polynévrites induites par 3 neurotoxiques reconnus:

II.2.1. Polynévrite au N-hexane:

– Physiopathologie:

Le N-hexane est un solvant puissamment neurotoxique notamment par son métabolite et marqueur biologique la 2-5-hexanedione.

Une exposition chronique au N-Hexane entraîne des perturbations du transport axonal en déstructurant l’organisation des microfilaments. Il en résulte une dégénérescence axonale distale. Ces modifications axonales entraînent secondairement une démyélinisation et donc un ralentissement des vitesses de conduction.

La biopsie neuro-musculaire, lorsqu’elle est réalisée, montre une démyélinisation segmentaire associée à des déformations segmentaires de l’axone (enflé par endroit) et cet aspect anatomopathologique est en faveur d’une neuropathie liée aux hexacarbones.

– Signes cliniques:

L’exposition chronique au N-hexane donne une polynévrite sensitivo-motrice prédominant essentiellement aux membres inférieurs mais pouvant également toucher les membres supérieurs. Elle peut s’accompagner de signes centraux à type de vertige ou de céphalée, une dégénérescence maculaire peut également être retrouvée.

Les neuropathies à l’hexane sont rares mais préoccupantes

– Professions à risque:

Les sujets manipulant le N-hexane sont susceptibles de développer une neuropathie.

Le N-hexane est présent dans les encres, les colles notamment pour le cuir et les matières plastiques, et les essences spéciales. Certains produits appelés « éthers de pétrole » contiennent du N-hexane. Ainsi des polynévrite sensitivo-motrices ont été rapportées chez les ouvriers de la chaussures et de la maroquinerie. Les laboratoires de recherche et d’enseignement utilisent également le N-Hexane comme solvant principal en chromatographie.

– Réparation:

La neuropathie au N-Hexane est reconnue comme maladie professionnelle dans le cadre des expositions à l’hexane au titre du tableau N° 59 du régime général et N°41 du régime agricole.

La liste des professions relevant de ce tableau est indicative.

II.2.2. Polynévrite à l’arsenic:

– Physiopathologie:

L’arsenic appartient à la catégorie des métaux et une exposition aiguë ou chronique à ce toxique peut entraîner l’apparition d’une neuropathie périphérique.

La neuropathie à l’arsenic est caractérisée par une dégénérescence axonale primaire avec occasionnellement une démyélinisation associée (surtout lors des expositions aiguës). L’étude des conductions nerveuses retrouve donc une diminution d’amplitude des potentiels évoqués sensitifs et moteurs avec des signes de dénervation à l’EMG (tracé pauvre et accéléré).

– Signes cliniques:

Les atteintes neurologiques peuvent être précédées d’une symptomatologie digestive notamment en cas d’intoxication aiguë (nausées, vomissements, diarrhée, douleurs abdominales).

Cliniquement la polynévrite à l’arsenic ressemble à la polynévrite alcoolique. elle est essentiellement sensitive, douloureuse et associée à des paresthésie distales. Elle prédomine aux membres inférieurs. On retrouve des douleurs lors de la palpation des muscles au niveau des mollets. Les signes moteurs apparaissent secondairement, au niveau des muscles plantaires et de la loge postérieure de la jambe.

Chez un sujet présentant ce type de symptomatologie, il faut éliminer une origine éthylique et rechercher des signes d’intoxication arsenicale chronique: kératodermie, mélanodermie, conjonctivite.

Cette polynévrite est aujourd’hui très rare. Après l’arrêt de l’exposition, la récupération est lente et il peut persister un déficit proportionnel à la sévérité de la neuropathie.

– Professions à risque:

Les sujets manipulant de l’arsenic ou un de ses composés oxygénés ou sulfurés sont susceptibles de développer une pathologie arsenicale. L’arsenic sert à la fabrication de certains colorants ( vert de scheele ou de Schweinfert) ou de certains insecticides notamment.

– Réparation:

La neuropathie à l’arsenic est reconnue comme maladie professionnelle au titre du tableau N° 20 du régime général et N°10 du régime agricole.

La liste des professions relevant de ce tableau est indicative.

II.2.3. Polynévrite au plomb ou polynévrite saturnine:

– Physiopathologie:

Les expositions chroniques par ingestion ou inhalation de plomb peuvent entraîner l’apparition d’une neuropathie périphérique caractérisées par une atteinte de la gaine de myéline et touchant essentiellement les fibres motrices. Aussi, en cas d’imprégnation saturnine, les vitesses de conductions motrices sont précocement altérées aux 4 membres.

– Signes cliniques:

La polynévrite saturnine a des caractéristiques cliniques particulière. Son début est insidieux, sa progression est symétrique, de type flasque avec abolition des réflexes ostéotendineux mais sans signes sensitifs majeurs.

Elle simule fréquemment une paralysie radiale: c’est la forme dite « pseudo-radiale de Remack ». Ici, le début est progressif avec une sensation de faiblesse de la main, parfois il existe de légères sensations de fourmillement mais jamais de véritables douleurs. La paralysie touche d’abord l’extenseur commun des doigts en respectant l’extenseur propre du II et du V. Lorsque l’on demande au malade de relever les doigts, il ne peut relever que l’index et l’auriculaire, on dit que le malade fait les « cornes ». Puis quand la neuropathie progresse, la main a un aspect pendant ou en col de signe avec les doigts fléchit sur les métacarpiens. Le sujet ne peut pas la relever mais en revanche il peut écarter les doigts car il y a conservation des interosseux.

Une des caractéristiques particulières de la neuropathie saturnine est la conservation de l’activité du long supinateur, muscle fléchisseur de l’avant-bras sur le bras. Quand on demande au sujet de fléchir les bras et que l’on s’oppose à ce mouvement, on voit saillir la corde du long supinateur sous la peau. Ce muscle étant innervé par le radial, on comprend ainsi l’appellation pseudo-radiale.

Il existe d’autres formes cliniques. Certaines peuvent se traduire par une atteinte du bras et de l’épaule, d’autres présentent une atrophie de l’éminence hypothénar et un aspect de main en griffe avec ici une atteinte des inter-osseux. Des atteintes prédominant aux membres inférieurs ont également été décrits avec atteinte de la région antéro-externe de la jambe. On peut retrouver également une atteinte des paires crâniennes (paralysie laryngée ou troubles des oculomoteurs).

Le tableau clinique constitué sus-décrit est aujourd’hui rare. Il a été remplacé par des anomalies électriques retrouvées lors de la mesure des conduction nerveuses.

Le diagnostique d’un saturnisme se fait aujourd’hui plus souvent sur les anomalies des dosages biologiques demandés au titre de la surveillance médicale spéciale (voir question Intoxication au plomb d’origine professionnelle)

La récupération dépend de la sévérité de l’intoxication, et est souvent, malgré les traitement chélateurs, incomplète.

– Professions à risque:

Les sujets manipulant des produits renfermant du plomb ou du minerais de plomb alliage ou toute autre combinaison sont susceptibles de développer un saturnisme.

Les peintres y sont notamment soumis, surtout lors des travaux de décapage mécanique ou par la chaleur d’ancienne peintures à base de chromate de plomb (colorant de couleur jaune) ou d’antirouille. De même, les activités de métallurgie, de fonderie, de plomberie industrielle, de soudage, ou de fabrication d’accumulateur ou de matières plastiques, peuvent entraîner une exposition au plomb

– Réparation:

La neuropathie saturnine est reconnue comme maladie professionnelle au titre du tableau N° 1 du régime général. La liste des professions relevant de ce tableau est indicative.

II.3. Le cas particulier de la polynévrite aux organo-phosphorés:

– Physiopathologie:

La neuropathie aux organo-phosphorés est généralement secondaire à une intoxication aiguë. Elle apparaît avec un délai d’une à deux semaines sous la forme d’une atteinte axonale distale prédominant sur les axones les plus longs et de plus gros diamètre. Les enregistrements électriques retrouvent donc une diminution d’amplitude des potentiels évoqués sensitifs et moteurs sans diminution des vitesses de conduction , sauf si l’atteinte est extrêmement sévère.

La lésion initiale, vue à la biopsie neuro-musculaire, correspond à une atteinte d’un noeud de Ranvier avec secondairement dégénérescence de l’axone sous-jacent et la destruction continue en remontant au noeud de Ranvier précédent.

– Signes cliniques:

Cette neuropathie est de type sensitivo-moteur mais avec une prédominance motrice, son évolution est progressive, symétrique et persiste après l’arrêt de l’exposition pour atteindre son maximum après 2 à 3 mois d’évolution. dans les cas sévères on observe une paralysie flasque des membres inférieurs avec amyotrophie mais atteinte sensitive modérée.

La récupération est très lente et souvent incomplète dans les formes sévères.

– Professions à risque:

Les professions exposées sont les fabricants des insecticides, les ouvriers agricoles ou ceux des entreprise de désinsectisation en milieu urbain.

– Réparation:

Cette neuropathie étant secondaire à une intoxication aiguë, sa réparation pourrait rentrer dans le cadre des accidents du travail.

II.4. Les autres neurotoxiques susceptibles de donner des polynévrites:

Voir le tableau N°1 en annexe. Il liste, sans exhaustivité, d’autres neurotoxiques. Pour les substances reconnues comme pouvant induire des polynévrites d’origine professionnelle, la liste des métiers est indicative.

III. Prévention:

Il n’existe pas de prévention spécifique des substances neurotoxiques. Le médecin du travail doit mettre en place les moyens de prévention classiques, adapté au produit utilisé afin d’éviter des niveaux d’exposition toxiques.

III.1. Prévention technique:

III.1.1. Les préventions techniques collectives:

Pour mettre en place une prévention adaptée, le médecin du travail doit connaître les produits manipulés par ses salariés ainsi que leur modalités d’utilisation. Il devra également savoir demander des prélèvements atmosphériques lorsque les toxiques sont volatils ou des dosages d’indicateurs biologiques d’exposition lorsque les toxiques ont un mode de pénétration cutané.

Le médecin du travail devra essayer, en fonction des postes de travail, proposer le remplacement d’une substance reconnue comme neurotoxique par un produit moins nocif ou conseiller un mode de présentation du produit exposant moins le salarié (changer une forme pulvérulente pour un gel par exemple).

Il doit également veiller à diminuer l’exposition en facilitant le travail en vase clos, sous hotte ou avec une aspiration à la source.

Enfin, le médecin du travail a un devoir d’information collective des salariés sur les risques lié à la manipulation de certains produits et un devoir de formation spécifique des salariés pour l’utilisation de ces substances toxiques.

III.1.2. Prévention technique individuelle:

Selon le toxique considéré, le médecin du travail devra vérifier le port de protections individuelles adaptée au produit et vérifier que ces protections sont régulièrement changées (gants, masques à cartouches, vêtements de travail, chaussures…)

Le médecin du travail devra également rappeler de façon régulière les règles d’hygiène générale:

– interdiction de boire, manger, fumer, se maquiller sur les lieux contaminées ou potentiellement contaminés.

– Entretient des vêtements de travail fait par l’employeur et non au domicile du salarié.

– séparation dans les vestiaires entre vêtements de ville et vêtements de travail.

– Ne pas laisser de chiffons imbibés de produits toxiques dans les poches des vêtements de travail.

– lavage des mains avant de manger, boire, fumer…

III.2. Prévention Médicale:

En mettant en place une surveillance médicale adaptée, le médecin du travail doit dépister les effets précoces des neurotoxiques notamment avec les dosages d’indicateurs biologiques d’exposition quand ils existent et soustraire alors le salarié au risque.

Le médecin du travail informera le CHSCT des résultats collectifs des indicateurs biologiques d’exposition (exemple: bilan biologiques effectués pour la surveillance de l’exposition au plomb.

Pour la surveillance des expositions aux neurotoxiques, il devra savoir, si besoin, faire appel à une équipe spécialisée pour la réalisation des examens électrophysiologiques à la recherche d’une atteinte neurologique infra-clinique.

Conclusion:

Avec les moyens actuels de prévention et comme l’action des neurotoxiques sur le système nerveux périphérique est généralement lente et progressive, les tableaux cliniques de polynévrites toxiques sont rares mais cela ne doit pas empêcher, au contraire, la mise ne place systématique d’une surveillance neurologique chez les salariés à risque, en travaillant conjointement au besoin avec une équipe neurologique spécialisée. Le développement d’un tel dépistage permet ainsi la détection des altérations neurologiques parfois au stade infra-clinique et donc facilite la récupération qui est, dans le cas des neuropathies toxiques, souvent fonction de l’intensité de l’atteinte.

Annexes:

Tableau N° 1

NeurotoxiqueCliniqueProfessionsRéparation
Sulfure de carboneatteinte sensitivo-motrice avec douleur musculaire textile synthétique

insecticides…
TRG N° 22
TRA N°8
Acrylamideatteinte sensitivo-motrice avec tremblements fabrication de plastiques
labo. de recherche
non citée dans le TRG ou TRA
Tétrachlorethaneatteinte sensitivo-motrice non douloureuseutilisation de ce solvant, rare aujourd’huiTRG N°3
Mercureatteinte motrice non douloureuseutilisation de mercure ou de dérivés mercurielsnon citée dans le TRG ou TRA
Thalliumatteinte sensitivo-motrice douloureuseutilisation de pesticidenon citée dans le TRG ou TRA
MPCAatteinte motrice sévère utilisation de pesticidesnon citée dans le TRG ou TRA
Organo-chlorésatteinte motrice rare utilisation de pesticidesnon citée dans le TRG ou TRA
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