Effets du bruit sur l’organisme humain
I – Surdité
Le bruit a pour effet principal une destruction de l’oreille interne :
– soit de façon brutale après un son d’intensité très forte comme une explosion, avec possibilité de rupture du tympan, luxation des osselets, otorragie, lésion cochléaire
– soit de façon très progressive après une longue exposition à des bruits de niveau élevé, responsable d’une destruction progressive des cellules ciliées de l’organe de Corti. Les premières cellules touchées sont les cellules spécifiques de la perception des sons de fréquence 4 000 Hz. Cette atteinte est irréversible. L’atteinte de l’oreille interne est toujours limitée à la cochlée, le vestibule reste indemne.
Evolution clinique
D’installation insidieuse et progressive, la surdité évolue classiquement en 4 stades successifs (1, 2, 3, 5):
a – Installation du déficit – stade de fatigue auditive
Elle correspond à l’élévation du seuil de l’audition.
Les premières semaines de travail dans le bruit occasionnent une fatigue auditive associant des acouphènes et une sensation d’oreille bouchée en quittant le travail. Cette sensation disparaît dans les heures ou jours suivants si le salarié est retiré du milieu bruyant.
L’audiogramme pratiqué en fin de journée peut déjà montrer un scotome réversible dans la bande des 4 000 Hz. Celui-ci disparaît après une période de repos.
b – Phase de latence totale
Elle est marquée par une atténuation des acouphènes et une accoutumance au bruit.
Le déficit auditif devient permanent et définitif localisé sur la fréquence des 4000 Hz. Les fréquences dites » conversationnelles » (500, 1000 et 2000 Hz) n’étant pas touchées, le sujet ne s’aperçoit de rien.
c – Phase de latence subtotale
Elle est marquée par une gêne de l’intelligibilité de la voix chuchotée et une réapparition possible des acouphènes.
En audiométrie, le scotome est étendu aux fréquences voisines (2000 à 6000 Hz)
d – Stade de la surdité manifeste
L’hypoacousie est nette, entraînant une véritable gêne professionnelle et sociale. Les acouphènes deviennent importants.
Le déficit atteint toutes les fréquences avec une extension prédominante sur les fréquences aiguës (6000 – 8000 Hz).
En résumé, les principales caractéristiques de la surdité professionnelle liée à une exposition prolongée au bruit sont les suivantes :
– surdité de perception par atteinte cochléaire,
– bilatérale et généralement symétrique,
– définitive et irréversible,
– non évolutive par elle-même (les lésions se stabilisant à l’arrêt de l’exposition au bruit),
– marquée par une prédominance du déficit auditif sur la fréquence 4000 Hz.
Ces troubles peuvent être accompagnés d’acouphènes.
Facteurs de gravité
La nocivité d’un bruit dépend d’un certain nombre de facteurs :
o l’intensité. Le risque auditif augmente avec l’augmentation de l’intensité du bruit. Il est négligeable pour une intensité inférieure à 85 dB. Quand elle dépasse 120 dB, le son provoque une sensation douloureuse.
o la fréquence. Les bruits de fréquence aiguë sont, à intensité égale, plus nocifs que les bruits plus graves.
La nocivité du bruit est souvent déterminée par une relation entre l’intensité et la fréquence. La courbe des limites acceptables préconisée par la Commission Technique du Bruit du Ministère de la Santé Publique propose comme seuil de nocivité possible 80 à 85 décibels au-delà de la fréquence 500 Hz.
o la durée d’exposition. Une exposition prolongée provoque une fatigue du système de protection de l’oreille (réflexe stapédien). Elle peut être corrigée par la notion de répartition dans le temps. Des pauses ou des mises en repos de l’oreille permettent de réduire le risque.
o la pureté. un son pur de grande intensité est plus dommageable pour l’oreille interne qu’un bruit de large bande d’intensité égale.
o le caractère soudain et inattendu d’un bruit surprend les réflexes de défense de l’oreille et aggrave sa nocivité ; les muscles de la chaîne ossiculaire n’ont pas le temps de se contracter.
o vibrations. L’association du bruit à des vibrations ou des répétitions aggrave le traumatisme par épuisement du réflexe stapédien.
o bruits rythmés. Le réflexe stapédien se déclenche trop tard et les muscles se fatiguent rapidement
o la distance par rapport à cette source sonore, ainsi que les caractéristiques du local. L’augmentation de la distance par rapport à la source sonore diminue le risque pour l’oreille.
o l’existence de facteurs individuels. Un certain nombre de facteurs individuels, expliquent la grande variabilité de la tolérance vis à vis du bruit :
o âge : la fragilité cochléaire au bruit s’accroît au-delà de 50 ans, mais il existe également une vulnérabilité particulière chez les jeunes de moins de 20 ans ;
o le tabagisme constitue un facteur fragilisant reconnu pour l’oreille ;
o la prise d’un traitement médical ototoxique (aminoside, aspirine, quinine) peut exercer un effet cumulatif sur les lésions sensorielles ;
o l’existence de lésions antérieures de l’oreille telles qu’une otospongiose opérée, une surdité séquellaire post-infectieuse, post-traumatique ou survenue après un traumatisme sonore ancien.
Diagnostic différentiel
o Surdité de transmission : obstruction du conduit auditif externe ; affections de l’oreille moyenne (otite aiguë, otite chronique, otospongiose, traumatisme crânien avec perforation du tympan ou luxation des osselets de l’oreille moyenne, tumeur, malformation congénitale)
o Surdité de perception : causes héréditaires ; causes infectieuses ou inflammatoires (complications des otites, complications post-opératoires) ; causes traumatiques (accident de plongée ou autre barotraumatisme, traumatisme crânien en particulier en cas de fracture du rocher) ; dégénérescence (presbyacousie, athéro-sclérose cochléo-vestibulaire) ; méningo-névrites du zona, des oreillons, de la syphilis
Traumatisme sonore brutal
La surdité peut parfois survenir de façon brutale, immédiatement après un traumatisme sonore brutal et soudain (éclatement, explosion), se détachant des conditions normales de l’emploi. Le siège de la lésion se situe au niveau du tympan, de l’oreille moyenne et de la cochlée.
La surdité est alors généralement unilatérale, parfois bilatérale, partiellement réversible en fonction de l’énergie de l’onde sonore et de la durée d’exposition.
Elle entre alors dans le cadre des accidents de travail, et est réparée selon cette législation.
Examens complémentaires (7)
Audiométrie
L’examen audiométrique constitue le seul moyen de dépister correctement les surdités. L’audiométrie permet de tester l’ouïe. Elle permet de déterminer les pertes d’audition par rapport à un seuil normalisé. Elle permet également de contrôler l’efficacité des moyens de protection (collective et individuelle).
La pratique de contrôles audiométriques exige une grande fiabilité des équipements audiométriques, et aussi une grande rigueur dans la conduite de ces examens (4). Comme pour tout instrument de mesure, le matériel d’audiométrie et les techniques de réalisation de l’audiogramme nécessitent une normalisation, d’abord pour pouvoir comparer deux examens réalisés à différents moments et par différents opérateurs, et également pour éviter certains pièges d’interprétation.
L’audiomètre tonal, générateur de sons purs étalonnés en fréquences (125, 250, 500, 1000, 2000, 4000 et 8000 Hz) et en intensité (de 0 à 120 dBA) permet d’apprécier l’audition
o par voie aérienne (physiologique) de façon bilatérale, simultanément par un haut-parleur, ou séparément par un casque,
o par voie osseuse au moyen d’un vibreur qui stimule la cochlée. Cette dernière voie permet de déceler l’atteinte cochléaire.
L’examen nécessite une bonne compréhension et coopération du sujet testé, un audiomètre bien calibré, et une cabine parfaitement insonorisée. En dehors d’une cabine, le seuil s’élève d’au moins 15 à 20 dB (baisse de l’audition). L’insonorisation de la cabine doit être telle qu’elle permette des examens sans que le bruit environnant n’interfère sur les sons explorés. Le bruit résiduel ne doit pas dépasser 15 dB.
L’audiométrie liminaire permet de rechercher les seuils de sensibilité. Le résultat est rapporté sur un graphique (audiogramme). Il mesure les décibels de perte auditive par rapport au seuil physiologique normal.
La conduction aérienne étudie l’ensemble de l’appareil auditif, depuis le conduit auditif externe jusqu’aux centres nerveux. C’est par cette étude que débute habituellement l’examen. Les écouteurs doivent être bien appliqués sur l’oreille et centrés sur la conque, sous peine d’entraîner une perte pouvant atteindre 15 dB.
La conduction osseuse explore essentiellement l’oreille interne et les voies nerveuses. L’ossivibrateur est placé strictement sur la mastoïde ou sur le front.
Il est important de confronter ces deux tracés. Dans le cas d’une surdité de perception, les courbes de conduction osseuse et aérienne se superposent.
L’audiométrie vocale utilise le stimulus le plus physiologique de l’ouïe, c’est-à-dire la voix humaine. Elle étudie l’audition non plus avec des sons purs comme en audiométrie tonale, mais avec des phonèmes, des mots ou des phrases. Elle permet avant tout de confirmer le seuil d’audiométrie tonale et d’apprécier l’aptitude du sujet pour la compréhension de la parole. Elle étudie la qualité de l’oreille
Les audiogrammes vocal et tonal doivent être comparés ; de leur confrontation peuvent sortir des informations telles que parfois le dépistage d’une simulation ou d’une exagération.
Conditions d’utilisation de l’appareillage
Les principales caractéristiques à prendre en considération concernent la cabine, l’audiomètre, les transducteurs.
Il existe 5 classes d’audiomètres. Les appareils des classes 1, 2 et 3 permettent l’application du son en conduction aérienne et osseuse, les appareils des classes 4 et 5 ne permettent que la conduction aérienne et leurs possibilités en fréquence et en niveau sont très limitées.
Le matériel doit être étalonné régulièrement. L’étalonnage porte sur l’ensemble audiomètre-transducteur. La réglementation prévoit un contrôle objectif au moins une fois par an, en plus des vérifications de routine. La norme ISO 8253-1 de 1989 donne dans son chapitre 12 des indications sur « maintenance et étalonnage de l’équipement audiométrique ».
Deux types d’audiomètres de dépistage sont disponibles : manuel et automatique.
o Lorsqu’un audiomètre manuel est utilisé, l’opérateur détermine par tâtonnement le niveau de perception du sujet pour chaque fréquence. La durée du test à chaque fréquence est variable.
o Avec un audiomètre automatique, la réponse du sujet au son perçu modifie automatiquement le déroulement des opérations (changements de fréquence et de niveaux).
Les valeurs sont reportées directement sur une grille audiométrique sous forme graphique, particulièrement utile pour l’interprétation et la comparaison des audiogrammes.
Exemple :
Limites de l’audiométrie :
o Toujours vérifier l’absence de cérumen dans les conduits auditifs avant de faire un audiogramme ;
o En cas de conduit étroit ou collabé, mettre un petit tube de plastique dans le conduit pour éviter une fausse surdité de transmission ;
o Aux fréquences 3000 et 4000 Hz, lors de l’examen à forte intensité d’une oreille atteinte de surdité de perception, le rayonnement du son par le vibrateur peut être perçu par voie aérienne. On trouve alors une conduction osseuse meilleure qu’elle ne l’est en réalité ; une surdité de perception se transforme ainsi en fausse transmission ;
o Des facteurs propres au patient peuvent intervenir : une mauvaise compréhension des consignes, une mauvaise volonté, l’existence d’acouphènes pouvant gêner la recherche du seuil, une simulation.
L’impédancemétrie
L’oreille moyenne, avec le tympan et les osselets, joue le rôle d’un adaptateur d’impédance qui facilite le passage du son de l’air dans le milieu liquidien de l’oreille interne. L’impédancemétrie consiste, en faisant varier la pression dans le conduit auditif, à mesurer pour chaque valeur de cette pression, l’énergie sonore absorbée par l’oreille. La courbe ainsi obtenue ou tympanogramme est normalement un pic centré sur la pression 0 traduisant une équipression sur les deux faces du tympan. Cet examen permet d’étudier non seulement l’appareil de transmission, mais des mécanismes réflexes tels que celui du muscle de l’étrier faisant intervenir le nerf facial.
Le tympanogramme normal en toit de pagode avec un sommet situé autour de zéro de pression siginifie que le tympan est intact, de mobilité normale et que la pression dans la caisse du tympan est égale à celle du conduit auditif externe.
L’étude du reflexe stapédien consiste à envoyer dans l’oreille explorée ou du côté opposé, des stimulations sonores de fréquences et d’intensités données. Une sonde électrique placée dans le conduit auditif exploré capte la réponse et permet de détecter une contraction du muscle de l’étrier. Lorsque le réflexe se produit correctement, l’aiguille du potentiomètre dévie.
Les potentiels évoqués auditifs (P.E.A.)
L’examen se fait en cabine insonorisée, selon des normes identiques à celles de l’examen audiométrique.
Le stimulus sonore induit une activité électrique très faible.
Les P.E.A. précoces se présentent sous la forme de cinq ondes, chacune correspondant à une région anatomique de la voie nerveuse auditive (cochlée, du nerf auditif et des premiers relais du tronc cérébral). L’étude des latences des ondes permet d’apprécier la conduction nerveuse de chaque segment. L’enregistrement des potentiels évoqués auditifs (PEA) est une méthode fiable, objective, reproductible, atraumatique. En expertise, il permet de déterminer un seuil objectif et la détection des exagérations comportementales.
Leur principal intérêt clinique est le dépistage d’une atteinte rétrocochléaire (en particulier un neurinome de l’acoustique, une sclérose en plaque, un monitoring opératoire de l’audition). Ils doivent être réalisés devant toute surdité de perception asymétrique, la plupart des vertiges (excepté le vertige paroxystique bénin de position), et pour les acouphènes.
Estimation du risque bruit en fonction de l’exposition
La norme NF S 31-013 (9) définit un indicateur précoce d’alerte (IPA) qui permet la détection précoce, dans une population exposée au bruit, du risque de handicap auditif qui résulterait d’une exposition prolongée. Cette norme propose une approche statistique du déficit auditif résultant du bruit, en fonction de l’âge, du sexe et du niveau sonore.
Partant du constat selon lequel la perte d’audition des personnes exposées au bruit se manifeste habituellement au début de l’exposition sur les fréquences audiométriques autour de 4000 Hz, la norme NF S 31-013 définit un indicateur dit indicateur précoce d’alerte ou IPA. Celui-ci se définit comme la moyenne arithmétique des déficits auditifs liés à l’âge et au bruit sur les fréquences sensibles 3000, 4000 et 6000 Hz.
IPA = déficit 3000 + déficit 4000 + déficit 6000
3
Le calcul de l’IPA, sa comparaison avec des groupes témoins, constituent une méthode simple, fiable, reproductible pour évaluer le risque auditif des salariés exposés au bruit. La mise en évidence d’une différence avec des témoins non exposés se fera précocement. Elle permet de prévoir, à moyen terme, l’apparition de surdités professionnelles indemnisables. Ce résultat donne au médecin du travail des arguments concrets pour inciter la direction d’une entreprise à une meilleure prévention collective de cette nuisance.
Traitement
Le traitement de la surdité par traumatisme sonore varie en fonction de la rapidité d’installation de celle-ci.
Une surdité de survenue brutale est traitée comme toute surdité brusque, quelle qu’en soit la cause, à savoir par une cure intraveineuse de préférence de une semaine de vasodilatateurs et oxygénateurs cérébraux associés à des corticoïdes à fortes doses.
La surdité apparue de façon progressive sera appareillée par une prothèse auditive classique uni ou bilatérale, surtout lorsque le déficit prédomine sur les hautes fréquences (4000 – 6000 Hz).
rothèses auditives
Le coût des prothèses est d’environ 10 000 francs par oreille.
En cas de reconnaissance de la surdité comme maladie professionnelle, il existe certaines aides au financement :
o Remboursement 100 % du tarif sécurité sociale (bien inférieur au coût des appareils)
o Complément possible par la mutuelle, une aide financière par le fonds social de la sécurité sociale si faibles ressources.
o Si le patient est retraité, possibilité de recours auprès du fond social des caisses de retraite complémentaire (en fonction des revenus).
o Si le patient est salarié, aide possible par l’AGEFIPH dans le cadre du maintien dans l’emploi. Mille francs par oreille sont alors laissé à la charge du salarié.
Les implants cochléaires sont préconisés de façon assez exceptionnelle (1 surdité sur 1000 environ) chez des patients présentant une cophose totale bilatérale ou une surdité bilatérale très sévère avec un déficit d’au moins 90 dB et donc non appareillable par des prothèses classiques.
II – Autres effets du bruit
Le bruit peut également être responsable d’un certain nombre d’autres phénomènes.
o Effets neuropsychiques et cognitifs : irritabilité, asthénie, céphalées, troubles de l’humeur, troubles de la concentration, perturbation du sommeil. Par ailleurs, le bruit agit sur la fonction vestibulaire, pouvant générer des troubles de l’équilibre, voire des vertiges et une tendance nauséeuse.
o Autres effets : des effets cardio-vasculaires, endocrinologiques, ophtalmologiques, digestifs ont été décrits. Si de tels effets sont classiques dans des conditions expérimentales, la relation n’est cependant pas prouvée en matière de bruit professionnel. Un certain nombre d’études épidémiologiques montrent que le bruit peut constituer un facteur de risque d’hypertension.
Retour au chapitre surdité professionnelle