Cancers bronchopulmonaires primitifs d’origine professionnelle

I. Epidémiologie

Le cancer broncho-pulmonaire primitif (CBP), est le cancer le plus fréquent chez l’homme en France avec un taux d’incidence tous âges confondus de 64,2 pour 100.000.

Il représente dans notre pays la première cause de décès par cancer chez l’homme (61,6 décès pour 100.000 hommes).
Le tabac, principal facteur de risque extra-professionnel largement documenté de ce cancer, représente le facteur de confusion principal lors des études épidémiologiques s’intéressant aux facteurs de risque professionnels de CBP. Il rend difficile l’évaluation exacte du rôle joué par les facteurs professionnels avec lesquels il agit généralement en synergie.
Sont considérés comme cancers professionnels les cancers « qui ne seraient pas survenus en l’absence du facteur professionnel ». Le CBP est probablement le plus fréquent des cancers professionnels. Toutefois, le nombre de cas reconnus annuellement en maladie professionnelle indemnisable n’est qu’indicatif car il existe une sous-déclaration des cancers professionnels, sous-déclaration dont les causes sont multiples. Le long temps de latence (de 15 à 40 ans) nécessaire à l’apparition d’une pathologie cancéreuse après exposition professionnelle est l’une de ces causes : il rend difficile le repérage et la quantification des expositions aux nuisances professionnelles, ainsi que l’étude épidémiologique des facteurs de risque professionnels de cancer.

La proportion de CBP attribuable à des facteurs d’origine professionnelle varie de 1 à 40% pour certains auteurs, de 5 à 35% pour d’autres. Doll et Peto ont estimé que 15% des cancers broncho-pulmonaires survenant chez les hommes et 4% de ceux survenant chez la femme étaient d’origine professionnelle, estimations qui semblent plus raisonnables. Plus de 20.000 cas de CBP surviennent en France annuellement et moins de 50 cas sont reconnus en maladie professionnelle indemnisable.

II. Etiologies

Le CIRC, Centre International de Recherche sur le Cancer, a établi une classification des agents, mélanges ou circonstances d’exposition cancérogènes. Quatre classes sont individualisées en fonction des connaissances apportées par les études épidémiologiques chez l’homme, les études expérimentales animales et les tests cellulaires.
La classe 1 regroupe les agents ou procédés classés cancérogènes certains chez l’homme,
la classe 2A les cancérogènes probables,
la classe 2B les cancérogènes possibles,
la classe 3 les nuisances pour lesquelles il est impossible de conclure quant à leur pouvoir cancérogène et
la classe 4 les nuisances classées comme non cancérogènes pour l’homme.
La classification du CIRC est en constante évolution : la silice cristalline était en classe 2A jusqu’en octobre 1996, date à laquelle les connaissances rassemblées sur cette nuisance ont permis de la classée dans la classe 1 des cancérogènes pour l’homme pour son rôle dans la survenue du CBP (Il existe aussi une classification de l’Union Européenne qui est réglementaire et conditionne l’étiquetage des différentes substances et préparations commercialisées : cette classification est globalement équivalente à celle du CIRC, bien qu’il existe quelques différences pour certaines nuisances).

Les facteurs de risque professionnels de CBP classés par le CIRC sont les suivants :

Classe 1 : Agents, mélanges ou circonstances d’exposition cancérogènes certains : Amiante ; Arsenic et dérivés ; Goudrons, suies et brais de houille ; Béryllium et dérivés ; Bischlorométhyléther et Chlorométhylméthyléther ; Cadmium et dérivés ; Chlorure de vinyle ; Chrome (hexavalent) et dérivés ; Gaz moutarde ; Gazéification du charbon ; Mines (souterraines) d’hématite avec exposition au radon ; Mines de fer et fonderies ; Nickel et dérivés ; Peintres ; Production d’aluminium (procédé Södeberg) ; Production de charbon ; Radons et produits de filiation ; Rayonnements ionisants (par inhalation) ; Silice cristalline ; Talc contenant des fibres asbestiformes ; Huiles minérales non et moyennement raffinées

Classe 2A : Agents, mélanges ou circonstances d’exposition cancérogènes probables : Benz(a)anthracène ; Benzo(a)pyrène ; Dibenz(a, h)anthracène ; Insecticides non arsenicaux ; Fabrication de verrerie d’art, récipients en verre et ustensiles en verre moulé.

Toutefois, seules certaines de ces nuisances font l’objet d’un tableau de reconnaissance en maladie professionnelle dans le Régime Général de Sécurité Sociale ou le Régime Agricole. Les travaux exposants à ces nuisances sont détaillées au paragraphe réparation.

III. Diagnostic

Le diagnostic de cancer broncho-pulmonaire primitif du à une nuisance professionnelle ce décompose, comme pour toute maladie professionnelle, en 2 parties : le diagnostic du CBP d’une part, le diagnostic de l’origine professionnelle d’autre part.

La procédure diagnostique de CBP ne diffère pas de celle de CBP de cause non professionnelle.

Le diagnostic de l’étiologie professionnelle devrait toujours être évoqué. En effet, il est nécessaire devant tout CBP et devant tout cancer d’avoir toujours à l’esprit qu’une étiologie professionnelle est possible. L’interrogatoire permettant d’établir l’histoire professionnelle du patient est donc primordial. Il s’attachera a détailler les métiers et les tâches effectués par le patient durant sa carrière professionnelle, afin d’identifier les expositions professionnelles potentiellement responsables. Les circonstances de découverte et les signes cliniques ne sont pas spécifiques à l’étiologie et ne permettent donc pas de distinguer un CBP d’origine professionnelle d’un CBP d’autre cause. La confirmation anatomopathologique nécessaire à tout CBP n’apporte généralement pas d’information sur une éventuelle étiologie professionnelle. L’existence d’une pathologie associée ou des antécédents de pathologie dues à des expositions professionnelles doivent être recherchés : des antécédents d’ulcération nasale peuvent orienter vers un cancer 1ié aux dérivés du chrome. De même, l’existence d’une kératose arsenicale orientera vers un cancer bronchique lié à l’arsenic.

L’évolution et le pronostic global ne diffèrent pas de ceux des CBP non professionnels.

IV. Prévention

a. prévention technique

La prévention technique doit avant tout être collective. Elle passe par l’aménagement des locaux et des conditions de travail (douches, salles de détente, réfectoire), par l’interdiction de fumer et de boire sur les lieux du travail, par la limitation de la durée du travail exposant et par la rotation des équipes. Elle doit permettre :

– d’identifier et d’évaluer les risques, par des contrôles du niveau d’exposition, mesures des concentrations atmosphériques, définition et respect des valeurs limites d’exposition (VLE) et par le respect des étiquetages réglementaires de l’Union Européenne.

– de supprimer le risque quand cela est possible par remplacement du produit par un autre non cancérogène, ou par une présentation moins toxique du même produit

– de diminuer l’exposition des salariés soit par automatisation des tâches, travail en vase clos, bonne hygiène des locaux, soit par diminution des concentrations par aspiration des poussières et fumées, ventilation des locaux, humidification de l’air.

La prévention technique individuelle réside principalement dans la formation et l’information des salariés, l’éducation sanitaire de tout le personnel et le port d’équipements de protection individuelle adaptés à la nuisance et correctement entretenus (masques filtrants, gants, tabliers, lunettes, protections diverses).

Le tabac étant quasi-constamment retrouvé comme cofacteur carcinogène et ayant généralement un rôle synergique avec l’exposition à des facteurs de risque de CBP, il est essentiel de faire respecter l’interdiction de fumer sur les lieux de travail et de réaliser des campagnes anti-tabac dans l’entreprise.

b. prévention médicale

La visite médicale à l’embauche recherchera un facteur de sensibilité individuelle particulière vis à vis du risque.
La surveillance périodique vérifiera le maintien de l’aptitude au poste à risque, en s’aidant éventuellement de mesure des concentrations urinaires de certains toxiques. Elle peut aboutir comme habituellement à des propositions d’aménagement du poste de travail ou de changement de poste de travail.

La surveillance post-professionnelle des salariés ayant été exposés durant leur carrière à des agents ou procédés cancérogènes a été instituée par l’arrêté du 28 Février 1995. Cet arrêté donne obligation à l’employeur et au médecin du travail de remettre au départ en retraite d’un salarié dans ce cas, une attestation d’exposition identifiant les risques auxquels il a été exposé ainsi que les périodes d’exposition. La surveillance post-professionnelle repose sur les médecins généralistes. Les fréquences des examens cliniques et des examens complémentaires pour les nuisances prises en compte sont fixées par cet arrêté.

V. Réparation

De nombreuses étiologies peuvent faire l’objet d’une réparation en maladie professionnelle indemnisable dans le cadre des tableaux du régime général (TRG) de la Sécurité Sociale ou des tableaux du régime agricole (TRA) :

TRG 30 et 30bis (TRA 47) : Amiante
Le cancer bronchique primitif faisant suite à une exposition à l’amiante a fait l’objet de modifications dans le système de réparation français depuis mai 1996. Deux situations peuvent se présenter :

– le cancer bronchique survient en présence d’autres lésions asbestosiques bénignes du tableau 30 (asbestose ou lésions pleurales bénignes). Il est alors réparé au titre du TRG 30 et l’individu va bénéficier d’une réparation, du fait de la présomption d’origine, qu’elle que soit la durée de son exposition. Le délai de prise en charge (DPC) est de 35 ans. La liste des travaux incriminés est indicative et comprend : Travaux exposant à l’inhalation de poussières d’amiante, notamment extraction, manipulation et traitement de minerais et roches amiantifères ; Manipulation et utilisation de l’amiante brut dans les opérations de fabrication d’amiante-ciment, d’amiante-plastique, d’amiante-textile, d’amiante-caoutchouc, de carton, papier et feutre d’amiante enduit, de feuilles et joints en amiante, de garnitures de friction contenant de l’amiante, de produits moulés ou en matériaux à base d’amiante et isolants ; Travaux de cardage, filage, tissage d’amiante et confection de produits contenant de l’amiante ; Application, destruction et élimination de produits a base d’amiante (Amiante projeté ; calorifugeage au moyen de produits contenant de l’amiante, démolition d’appareils et de matériaux contenant de l’amiante, déflocage) ; Travaux de pose et de dépose de calorifugeage contenant de l’amiante ; Travaux d’équipement, d’entretien ou de maintenance effectués sur des matériels ou dans des locaux et annexes revêtus ou contenant des matériaux a base d’amiante ; Conduite de four ; Travaux nécessitant le port habituel de vêtements contenant de l’amiante.

– le cancer bronchique survient isolément sans pathologie asbestosique parenchymateuse ou pleurale. Il peut alors bénéficier d’une réparation au titre du tableau 30bis du régime général de la Sécurité Sociale, dans la mesure où l’exposition a duré au moins 10 ans dans l’un des emplois spécifiquement désignés dans la liste limitative des travaux : Travaux directement associes a la production des matériaux contenant de l’amiante ; Travaux nécessitant l’utilisation d’amiante en vrac ; Travaux d’isolation utilisant des matériaux contenant de l’amiante ; Travaux de retrait d’amiante ; Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants a base d’amiante ; Travaux de construction et de réparation navale ; Travaux d’usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l’amiante ; Fabrication de matériels de friction contenant de l’amiante ; Travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante. Le délai de prise en charge (DPC) est le même que dans le TRG 30.

TRG 20bis (TRA 10D) : Arsenic et ses minéraux (poussières et vapeurs)
Le délai de prise en charge (DPC) est de 40 ans. La liste des travaux explosants est limitative et comprend : les travaux de pyro-métallurgie exposant à l’inhalation de poussières ou de vapeurs arsenicales ; les travaux de fabrication et de conditionnement de l’anhydride arsénieux ; la fabrication de pesticides arsenicaux à partir de composés inorganiques pulvérulents de l’arsenic.

TRG 81 : Bis (chlorométhyle) éther
Le DPC est de 40 ans et la liste limitative des travaux ne comprend que les travaux de fabrication du chlorométhyl-méthyl-éther.

TRG 16bis (TRA 35bis) : Brais de houille, Goudrons de houille, Huiles de houille (comprenant les fractions de distillation acénaphténiques, anthracéniques, chryséniques, naphtaléniques, phénoliques) et Suies de combustion du charbon
Le DPC est de 30 ans sous réserve d’une durée d’exposition au risque de 10 ans. La liste des travaux exposants est limitative et comprend : les travaux du personnel de cokerie directement affecté à la marche et à l’entretien des fours ; les travaux exposant habituellement à l’inhalation ou a la manipulation des produits précités dans les usines à gaz et lors de la fabrication de l’aluminium par électrolyse selon le procède à anode continue (procède Söderberg) ; les travaux de coulée en fonderie de fonte ou d’acier mettant en œuvre des sables noirs incorporant des brais ou des noirs minéraux ; les travaux de ramonage.

TRG 10ter : Acide chromique, Chromates et bichromates alcalins et alcalino-terreux et Chromate de zinc:
Le DPC est de 30 ans. La liste des travaux exposants est limitative et comprend : la fabrication et le conditionnement de l’acide chromique, des chromates et bichromates alcalins ; la fabrication du chromate de zinc.

TRG 44bis : Fer (inhalation de poussières ou fumées d’oxyde de fer), Oxyde de fer (inhalation de poussières) (associé à une sidérose)
Seul le CBP associé à une sidérose est reconnu. Le DPC est de 30 ans et la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer cette maladie comprend les travaux effectués au fond dans les mines de fer et les travaux de concassage dans les mines de fer, au fond et en surface.

TRG 37ter : Nickel (grillage des mattes)
Seules les opérations de grillage de mattes de nickel sont reconnues comme responsables de CBP. Le DPC est de 40 ans.

TRG 6 (TRA 20) : Rayonnements ionisants (par inhalation)
Ce tableau présente une particularité : lorsqu’il s’agit du cancer du poumon, l’intitulé exact de la maladie prise en charge est  » Cancer broncho-pulmonaire primitif par inhalation « . La liste indicative des travaux ne s’applique alors pas dans sa totalité à la maladie ainsi définie. En fait, seuls les travaux d’extraction et traitement des minerais radioactifs qui exposent à l’action des substances radioactives naturelles peuvent être incriminées : il s’agit généralement des travaux dans les mines d’uranium et du traitement des minerais extraits, ou des travaux dans les mines souterraines d’hématites (exposition au radon). Le DPC est de 30 ans.

Autres étiologies ne faisant pas l’objet d’un Tableau de Maladie Professionnelle

Les autres étiologies des CBP professionnels connues ne font pas l’objet de tableaux de maladie professionnelle actuellement. Toutefois, la réparation de ces CBP est possible dans le cadre du système complémentaire établi par la Sécurité Sociale depuis 1993 (Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles ou CRRMP : Décret n° 93-692 du 27/03/93). Dans ce dernier système, le patient et son médecin doivent apporter des éléments étayant la relation d’imputabilité entre l’exposition professionnelle et le CBP. Les arguments d’imputabilité utilisables sont les suivants (liste non exhaustive):

– la latence : il est classique de considérer que du fait du long temps de latence nécessaire à l’apparition d’un cancer, seules les expositions suffisamment anciennes, antérieures d’au moins 10 ans, doivent être prises en compte.

– la quantification de l’exposition : elle repose sur l’interrogatoire détaillé du patient permettant de reconstituer l’ensemble de sa carrière professionnelle. Compte tenu du temps de latence, il faudra insister en général sur la description des emplois les plus anciens. Cet interrogatoire permet de préciser la fréquence, la durée et l’intensité de l’exposition aux agents cancérogènes. Les données métrologiques (quantification de la nuisance dans l’air) sont rarement disponibles pour les expositions anciennes, mais il faudra toujours en rechercher l’existence.

– l’existence d’une pathologie associée : l’existence d’une silicose peut oriente vers un CBP lié à l’exposition à la silice cristalline notamment si le patient n’est pas fumeur.

– un examen biométrologique : en pratique, seuls les cancers bronchiques liés à l’amiante bénéficient actuellement de données de quantification des corps asbestosiques dans l’expectoration ou le LBA ou le parenchyme pulmonaire.

– des recherches sont actuellement en cours sur la validation de marqueurs tumoraux qui pourraient orienter vers l’origine professionnelle d’un cancer bronchique (ex : altération du gène p53 et exposition à l’amiante).

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